Le 1er janvier 2024, « Pôle Emploi » devenait « France Travail ». Une changement d’identité, porté en communication publique, qui soutient un projet politique. Que signifie la refonte d’identité pour une institution publique ? Qu’avons-nous lu, chez Koda conseil, de cette modification ? Décryptage.
S’engager dans la refonte de son identité, éditoriale et visuelle, est un événement majeur de la vie de l’entreprise, en termes de communication, mais pas seulement. Derrière un changement de nom et de logo, il y a un changement… de fond.
Un nom, une identité
Un nom et un logo attirent l’attention, provoquent la reconnaissance, la mémorisation, créent des associations positives. Ces éléments reflètent l’identité interne et la culture d’une entreprise.
Ceux d’une marque portent, en outre, un affect sur un marché donné : ce sont des marqueurs, des éléments discriminants dans l’acte d’achat du consommateur.
Pour une entreprise privée, nom et logo sont donc un capital et revêtent une dimension stratégique.
Les structures publiques ont, elles, généralement, un rôle central dans la société qui garantit leur notoriété. C’est le cas, par exemple, de l’Assurance Maladie et toutes les branches de la Sécurité sociale : ces organisations sont incontournables, connues de tous. Leurs bénéficiaires sont en quelque sorte « captifs ». Si les marqueurs d’identité de ces institutions publiques ne portent pas la notion de « capital » (au sens financier), donc, ils sont cependant fortement liés à l’histoire de ces institutions, à celle de leur pays. Ils portent aussi les représentations que les bénéficiaires s’en font . Ainsi, une « Caisse primaire d’Assurance Maladie », bien que, aujourd’hui, acteur de la prévention en santé par exemple, sera d’abord une « caisse », une banque : sa raison d’être en… 1945.
Les communicants publics le savent : toucher au logo, au nom ou à la baseline d’une institution publique, c’est toucher à ses représentations. Et c’est aussi l’adapter à la société et aux projets politiques qu’elle porte. C’est donc un travail sur le temps long, qui nécessite d’interroger la raison d’être de ces structures, de mobiliser des panels, de mesurer les évolutions opérées, dans le temps, sur ces représentations.
Dans les deux cas, ces changements sont liés fortement à l’image et à la réputation de l’entreprise ou de l’institution.
Un projet politique porté par la communication publique
Plusieurs éléments peuvent être à l’origine d’un changement de nom :
- Le souhait d’un nouveau départ
- La volonté de recréer une image positive
- Une restructuration / fusion
Dans le cas de France Travail, ce changement accompagne les intentions de la loi pour le plein emploi (1): « La loi prévoit en effet de doter le nouvel opérateur France Travail de missions élargies devant permettre de mieux accompagner toutes les personnes en recherche d’emploi et toutes les entreprises grâce à une coopération renforcée et inédite entre tous les acteurs de l’emploi, de l’insertion et de la formation. » (Olivier Dussopt, communiqué de presse Pôle Emploi le 15 décembre 2023 – 2).
Cette démarche et ces symboles soutiennent une pensée politique. Ici, la réappropriation de la valeur « travail », leitmotiv du candidat à la Présidence de la République, Emmanuel Macron, en 2022, lequel avait inscrit ce projet – et le changement de nom de Pôle Emploi – dans son programme électoral : « Pour ramener le plus grand nombre sur le chemin du travail et atteindre le plein emploi » (3). Remarquons que, dans ses vœux 2023 aux Français, Emmanuel Macron mentionnait le terme « travailler » / « travail »… 17 fois… (4)
La sémantique, composante de la communication
Prenons ces deux éléments de contexte, qui ont encadré 2023 :
- En janvier, l’IFOP publiait son étude « Je t’aime, moi non plus : les ambivalences du nouveau rapport au travail » et posait le constat d’une place moins centrale du travail dans la vie des français (5).
- Le 15 décembre de la même année, Olivier Dussopt, alors ministre du Travail, du plein emploi et de l’insertion, dévoilait le futur logo de l’opérateur public de l’emploi avec quelques explications sur ces nouvelles identités visuelle et verbale.
A la lumière de ces deux éléments, en quoi le projet politique de « réappropriation (ou réactivation ?) de la valeur travail » trouve-t-il sa traduction dans ce changement de nom ? Il nous semble que c’est, essentiellement, dans le glissement sémantique « Emploi » / « Travail ».
Un « emploi » est la place que l’on occupe pour effectuer un travail, en échange d’une rétribution. Il nécessite un statut, une rémunération, un régime fiscal. Il porte avec lui, donc, une place dans la société et un lien avec elle.
Un « travail » est une tâche à accomplir pour un résultat attendu et produit. Il a traditionnellement en français une connotation négative (nous avons tous en tête le « tripalium ») .
Les deux sont souvent confondus, alors qu’ils sont liés, mais différents.
Par ailleurs, le terme « emploi » appelle un statut, une situation, un état, une forme de passivité, renforcée par l’usage du verbe avoir (« J’ai un emploi »). Le terme « travail », lui, appelle un effort, de l’énergie, une connotation renforcée par son aspect performatif (« Je travaille »). La sonorité de France Travail peut d’ailleurs s’entendre comme un impératif : « France, travaille ! ».
Mais il faut aussi regarder du côté de l’emploi (!) des termes « Pôle » et « France ». Volonté d’installer la marque « France », portée par ailleurs en communication publique, asseoir le pays, la nation, plutôt que la concentration autour d’un pôle.
Comme souvent en communication publique, la volonté politique n’est jamais très loin !
Les impacts sur la mise en œuvre
Déclinaison du nom sur l’ensemble des supports, appropriation du nom par les salariés (14 salariés ont participé à la création du logo, étape d’appropriation en soi), pédagogie auprès des bénéficiaires – qui en voient rarement l’intérêt ou, au mieux, une pirouette sémantique… Les conséquences sont grandes pour la mise en œuvre de ces projets, qui portent clairement une intention politique.
C’est la raison pour laquelle, de manière générale, la communication doit toujours être attentive à la réflexion stratégique avant de songer au déploiement des outils de communication (voir ici !).
Sources :
Mission de préfiguration France Travail
Rapport de synthèse de la concertation
https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/289093.pdf
1- Loi pour le plein emploi :
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000048581935
2- Communiqué de presse Pôle Emploi : « Olivier Dussopt dévoile la nouvelle identité de Pôle Emploi » : https://www.francetravail.org/accueil/communiques/olivier-dussopt-devoile-lidentite-visuelle-de-france-travail.html?type=article
3- Le Monde : « Emmanuel Macron a dévoilé les principales propositions de son programme présidentiel » https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/03/17/emmanuel-macron-a-devoile-les-principales-propositions-de-son-programme-presidentiel_6117986_6059010.html
4- Voeux aux Français 2023
https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/12/31/voeux-2023-aux-francais
5- Etude Ifop « Je t’aime , moi non plus : les ambivalences du nouveau rapport au travail »
https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2023/01/Focus-234-les-ambivalences-du-nouveau-rapport-au-travail.pdf
Merci pour cet éclairage très intéressant et bien sourcé !
Merci Thomas !